La vallée Vermenagna

Valle Vermenagna, Colle di Tenda, Limone (da Wikimedia Commons)

Valle Vermenagna, Colle di Tenda, Limone (de Wikimedia Commons)

ROBERTA FERRARIS
À l’extrême sud-est de l’aire linguistique occitane, la vallée Vermenagna est une terre de frontière à tout point de vue : le col de Tende la sépare de la France, tout comme il sépare les Alpes Liguriennes de celles Maritimes. Le long de la ligne de crête, subsistent les preuves formelles des ouvrages défensifs érigés entre le XIX° siècle et la 2nde guerre mondiale et qui n’ont jamais eu leur baptême du feu. Ensuite, la ligne de crête alpine marque la frontière entre deux milieux, celui alpin et celui méditerranéen de la Provence voisine.

Le parcours de visite
De Borgo S. Dalmazzo, la SS20 passe le torrent Gesso et monte à Roccavione, un village placé vraiment à l’entrée de la vallée et au confluent de Gesso et de Vermenagna. Il se trouve au pied de la Rocca di S. Sudario, où il reste les ruines d’une tour médiévale. Au XIII° siècle, une communauté d’hérétiques cathares de Provence, avec leur évêque, trouva refuge à Roccavione : chaque été, une évocation historique, « La Rocca dei Catari », rappelle les évènements du Moyen Âge.

De la fin du XIX° au XX° siècle, ce village connut un développement industriel considérable (usines textiles, puis de ciment et de papier) dû initialement à l’abondance de cours d’eau et de force motrice, ensuite à la disponibilité des matériaux de carrière (calcschistes). Dans la première moitié du XX° siècle, Roccavione fut une destination de villégiature estivale et il reste de cette période une quinzaine de villas « Liberty » (Art nouveau italien) et les arbres monumentaux – parmi lesquels quelques séquoias – du parc de la villa des contes Salazar, aujourd’hui en ruines.

La route nationale traverse la zone industrielle, au pied de quelques carrières, puis elle rejoint Robilante, situé dans une cuvette plate sur la rive gauche du torrent Vermenagna. Ce village a partagé avec Roccavione le développement industriel du XX° siècle, beaucoup plus limité aujourd’hui. Le territoire se prête au tourisme de randonnées, surtout dans les châtaigneraies qui caractérisent toute la basse vallée, à partir des nombreuses bourgades où l’on trouve encore des exemples de toits en paille de seigle. À Robilante, on peut visiter le petit Musée de l’accordéon, de la musique et de l’art populaire, dédié au musicien et constructeur d’accordéons, Giuseppe Vallauri, surnommé Nòto Sonador (1896-1984) et au sculpteur populaire Giorgio Bertaina, Jors de Snive (1902-1976). Parmi les traditions artisanales conservées dans la vallée Vermenagna, il faut aussi rappeler l’art du cultlè, des couteliers spécialisés dans la construction des « vernantin », de petits couteaux avec une lame d’acier et un manche de corne ou d’os : le syndicat d’initiative de Robilante en présente une exposition.

La visite se poursuit sur la nationale, qui rejoint Vernante. Sur les murs des maisons, environ 90 peintures sont dédiées à l’histoire de Pinocchio : le turinois Attilio Mussino, historique illustrateur de la fable de Collodi, fut longtemps résident à Vernante. Le musée Attilio Mussino se situe dans les locaux de l’ancienne Confrérie et rassemble des planches originales de l’artiste, réalisées pour l’édition Bemporad de 1911 et en partie reproduites sur les peintures murales. Dans la via Umberto I, le centre de visites du Parc des Alpes Maritimes ouvre en été, avec une exposition dédiée à la hêtraie de Palanfrè et au travail en alpage. En amont du village, se dresse la « Turusela », ce qui reste du château du Lascaris, construit au XIII° siècle pour contrôler la route du col de Tende.

À partir de Vernante, on laisse la route nationale pour bifurquer sur la SP278 qui remonte le val Grande jusqu’à Palanfrè, un des accès au Parc naturel Alpes Maritimes. De ce hameau, qui conserve de précieux bâtiments, un sentier nature mène dans la hêtraie, réserve protégée depuis le XVIII° siècle et riche d’exemplaires centenaires. Depuis Vernante (aire de pique-nique de Bec Moler), il est possible d’atteindre Palanfrè à pied, avec le sentier « La via di tèit », qui traverse de nombreux hameaux aujourd’hui inhabités.

En continuant à suivre la SS20, on arrive à Limone Piemonte, station de ski alpin historique, une des premières en Italie (1907), au pied de la Punta Mirauda (2157 m) et de la Rocca dell’Abisso (2755 m). Le village, qui a aujourd’hui un aspect moderne avec les nombreuses installations touristiques, est attesté depuis le X° siècle, quand il subit les dévastations des Sarrasins. Le centre historique conserve l’église paroissiale de S. Pietro in Vincoli, édifiée en 1363, de style gothique. Du village, un embranchement mène à Limonetto : ce hameau est un des accès au domaine skiable de Limone, mais il est intéressant à visiter même en été pour le réseau de parcours de randonnées « Lu Viasol », sept sentiers faciles. Un de ces parcours reprend le tracé romain de la route du col de Tende.
De Limone, la SS20 continue vers le tunnel du col de Tende, ouvert en 1882 et reliant la vallée Vermenagna avec la vallée Roya, Ventimiglia et la Provence. La vieille route du col, qui reprend le plus ancien parcours d’une des nombreuses routes du sel, fut construite à diverses reprises entre le XVIII° et le XIX° siècle. Elle n’est pas praticable en automobile car elle est en terre sur le raide versant français et avec 48 lacets : un véritable chemin muletier. Cette vieille route ainsi que le réseau de routes militaires qui suivent la ligne de partage des eaux représentent aujourd’hui d’excellents parcours de randonnées en VTT permettant de visiter de nombreux forts. Le premier d’entre eux est le fort Central, à 1908 mètres, qui contrôle directement le passage.

L’historique chemin de fer Cuneo-Nice
En 1853, Camille Benso de Cavour proposa au Parlement du Règne de Sardaigne la construction d’une ligne de chemin de fer entre Cuneo et Nice, qui était alors en territoire italien. Puisqu’en 1860 Nice et la Côte d’Azur furent cédées à la France, un nouveau projet prévoyait de rejoindre Ventimiglia, avec une ligne vers Nice depuis Breil-sur-Roya. Toutefois, à cause de la complexité orographique du lieu, ce fut seulement en 1891 qui fut réalisée le premier tronçon Cuneo-Limone Piemonte. Les travaux se poursuivirent au ralenti et furent encore interrompus pendant la 1ère Guerre mondiale. La ligne fut enfin complétée dans les années 30 et fit la fortune autant de la station de ski alpin de Limone, que des localités côtières : un train international de la Suisse rejoignait en douze heures Sanremo ou Nice. La ligne fut gravement endommagée pendant la 2nde Guerre mondiale et fut rétablie seulement en 1979. La complexité du territoire traversé la rend spectaculaire par les nombreux ouvrages d’ingénierie : en tout 27 réalisations extérieures et 33 souterraines, dont des ponts, des viaducs et des tunnels hélicoïdaux.
traduit par Manon Cazals