Aucune histoire n’est simple, “Elvis à la radio”

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SABINE HUYNH

Le moment tant attendu est arrivé : mon nouveau livre (on peut l’appeler “roman” ou “récit littéraire mâtiné de fiction”) paraît ces jours-ci aux prestigieuses éditions Maurice Nadeau, dans une nouvelle, collection “À vif”, qui compte déjà trois titres, dont le mien : Elvis à la radio.

J’ai mis de longues années à lui trouver la forme qu’il a aujourd’hui. J’avais déjà commencé à l’écrire alors que j’écrivais ma thèse de doctorat, il y a une quinzaine d’années. Je crois que j’en ai écrit des dizaines de versions différentes, plus ou moins romanesques, et pas toujours très réussies.

Dans Elvis à la radio, la narratrice fouille sa mémoire apparemment vide pour tenter de retrouver les traces de souvenirs d’enfance qu’elle croyait disparus à jamais, oblitérés par la guerre, la mort, la violence et la folie. Parmi les souvenirs terribles qui refont surface au fil de l’écriture, elle repêche tant bien que mal une poignée de moments de grâce, dûs en partie à la lecture — d’où la bibliographie en fin d’ouvrage, qui référence des voix qui ont compté pour la narratrice et qu’elle a tissées à la sienne –, mais aussi à des choses apparemment “ordinaires”, qui pourtant ont sauvé une petite fille du désespoir absolu, et probablement de la folie aussi.

Elvis à la radio montre peut-être comment l’on devient qui l’on est, malgré les parents que l’on a eus. Ou comment écrire avec rien, sans mémoire, sans souvenirs. Ou comment apaiser les démons du passé grâce à la recherche d’une certaine objectivité dans l’écriture. Ou comment y survivre. Ou le revers de la médaille de l’intégration soi-disant réussie des immigrés vietnamiens. Ou les ravages de la colonisation, de la pauvreté, du racisme. Ou comment l’écriture et la lecture parviennent à réchauffer les eaux glacées de l’océan mémoriel. Ou d’autres choses encore, que vous verrez vous, sans aucun doute, si vous lisez ce texte.

“L’histoire” se passe dans les années soixante-dix et quatre-vingts, au Vietnam (à Saigon) et en France (dans la banlieue lyonnaise), mais aussi ailleurs, où l’on parle anglais, par exemple. Elle commence par une naissance qui aurait dû être une mort, au milieu d’une guerre, et se poursuit par le quotidien saigonnais d’une petite fille et de sa grand-mère, qu’elle croit être sa mère, et de leur existence silencieuse scandée par les tubes américains qui sortent du poste de radio, celles d’Elvis Presley, dont une en particulier…

Elvis à la radio se commande dans n’importe quelle librairie, même en ligne, et notamment sur le site des éditions Maurice Nadeau. Il comporte 304 pages, 42 chapitres, 6 pages de bibliographie et coûte 22 euros.

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EXTRAIT

« Nous y voilà, sous le soleil d’hiver des histoires avortées, la route est verglacée, luisante au point d’être aveuglante, dangereuse, et nous conduisons notre véhicule d’une main peu assurée, sans savoir où nous allons, les yeux tentant de percer le brouillard pour s’accrocher à des touffes d’herbe, un animal, une butte quelconque, une bande de terre où se reposer, la promesse d’un horizon. Or, il n’y a rien de reconnaissable dans ce paysage oblitéré par la brume condensée par les larmes et que l’on devine désolé, son sous-sol épuisé par des vérités éventées. Il ne nous reste plus qu’à le peupler avec les visions qui nous ont toujours obnubilés, rescapées des accidents de notre vie, que nous appelons aussi «?souvenirs ». Écrire. »

« Il me semble que plus j’écris, plus se dessine avec une netteté accrue ce qui m’avait échappé pendant les moments où je tâchais d’y réfléchir en dehors de l’acte d’écrire : l’image que la société a fabriquée de gens comme mes parents et moi, soit des immigrés asiatiques accommodants, a fini par nous être plaquée dessus et nous être fatale, nous empêchant tout mouvement, tout écart, toute révolte et toute transformation et possibilité de devenir qui nous sommes réellement, ni même de le savoir. Cette image d’Épinal rassurante de l’immigré vietnamien gentil et travailleur qui, par la force de sa volonté et de sa docilité sans faille, parvient à s’intégrer harmonieusement au tissu social du pays qui l’a accueilli, et dont les enfants finissent par réussir leurs études et leur vie en général, s’est révélée être aussi une injonction à la réussite coûte que coûte, au prix de notre équilibre mental et de nos vies : un piège et une prison. »