Déconstruction

deconstruction

MARIO URBANET

(extraits)

moi la mer je vous le dis
je connais les hommes
et même si par nature je m’en tiens à l’écart
eux s’ingénient tant
à m’impliquer dans leurs rêves
qu’ils finissent toujours par venir à moi

mer-miroir j’ai pour seul vis-à-vis le ciel
ni lui ni moi n’avons de frontières
pas plus d’espace aérien ou d’eau territoriale
ces dérisoires chimères humaines

ni bague au doigt ni fil à la patte
nous sommes espaces libres

je suis pure
comme l’eau des cent milliards de sources
qui me donnent vie
je nais à chaque instant
et chaque instant est infini
mon essence est naissance
venue du profond de la terre

cette terre que je tiens à ma merci
je l’enlace en amoureuse gourmande
mes vagues-langues la caressent
vont et viennent dans ses anses ouvertes

mante religieuse je la grignote au son du ressac
je m’en délecte
un jour j’irai à Paris Moscou Tombouctou
voir le monde des « pieds secs »

bien des hommes me courtisent
s’étendent à demi-nus à mes côtés
ils croient me séduire
ces pleutres ne connaîtront jamais
qu’une mer de terriens de même les marins d’opérette
casquette blanche et pull à crocodile
toujours un œil à la rive
caboteurs cabotins
qui me traitent comme une fille
soumise à leurs fantasmes
de navigateurs de salon

mais ceux qui jettent leurs bouteilles à la mer
comme leur gourme
qui enfants déjà brûlaient d’envie
de piétiner dans la grande flaque
qui se consument pour moi
d’un désir inapaisable
ceux- là seuls me prendront et je les prendrai
ils sauront le vertige
ils seront vestiges d’amour

aucun d’eux ne résiste quand je l’invite enfin
à voir mes estampes tempêtes
ceux-là rompent toutes les amarres
s’embarquent corps et âme
et tant pis s’ils en reviennent
ils recommenceront
jusqu’au jour où ils feront à leur tour
leur trou dans l’eau

je suis la mer la mère et l’amante
tour à tour mer océane
ou océan marin
je suis hermaphroditeles plus hardis
viennent farfouiller dans mes dessous
m’arrachant quelques points de dentelle
qu’ils serrent entre leurs doigts
pour étreindre mes coraux
et s’éteindre dans mes algues

que de sang je lave
les guerres
telles des pustules que l’on presse
ou des volcans entrant en éruption
crachent un trop-plein de sève humaine

leurs batailles navales me font horreur

du sabre d’abordage
aux missiles longue portée
le mauvais génie belliqueux de l’homme m’afflige

il fouille jusqu’en mes replis les plus secrets
dérobe mes humeurs
mon sang noir qu’il brûle sans discernement
libérant un gaz destructeur
sans merci ni remède
chaque accélération décélère l’espoir de vie
le « jouir ici et maintenant » le rend aveugle
et sourd à son propr avenir à sa survie
moi j’érige mes vagues en verges
mes lames de fond
creusent d’imaginaires profondeurs fécondables
un jour les pôles
fondant de désir m’engrosseront

alors j’enfanterai la subversion finale
la submersion totale du globe
je libérerai mes démons
mes monstres internes
je jetterai ma semence à tout vent
à tous ventres
j’éjaculerai mon éloquence.

quand bien même il ne resterait de moi
qu’une arête séchée
un coquillage vide
que ma dernière goutte soit bue
que je sois fossile
inutile comme un cri sans écho
je n’aurai pas la moindre compassion
pour ces êtruscules qui ayant tout
auront tout gâché

j’écrirai d’une plume livide sur le néant
cette oraison pour un monde perdu
« Compassion n’est pas raison …

LECTURE POETIQUE ET MUSIQUE avec Véronique-Helena Malvoisin et Mario Urbanet (voix) et      Olivier Journaud (violoncelle)  24.11.2018

LECTURE POETIQUE ET MUSIQUE
avec Véronique-Helena Malvoisin et Mario Urbanet (voix) et Olivier Journaud (violoncelle)
24.11.2018

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