Couleurs Noir de Mario Urbanet

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MAGGY DE COSTER

Une poésie narrative qui rappelle un peu celle du poète italien Carlo Bordini et qui met à nu la vie d’un peuple souffrant et luttant au jour le jour pour sa survie mais sans se plaindre. Mario Urbanet sait mettre des mots sur les maux du continent noir dépeuplé de ses fils à la faveur de la colonisation.
Aussi démêle-t-il l’écheveau de l’Histoire d’un peuple ? :

en appui au sicaire locaux
le négrier déshonora l’homme blanc
mais enrichit Bordeaux Nantes La Rochelle
et tant de villes avilies

ou encore :
le développement est un cercle vicieux
qui engendre
un sous-développement vicié

Même les arbres lui paraissent tristes :

les baobabs
aux allures de bougeoir éteints
en sont retournés
ils se sont mis la tête sous terre
pour que leurs racines
puisent des prières dans le ciel

Quand la famine sévit la mendicité s’impose. Elle touche tous les âges. Et le poète de poser un regard compatissant sur le pauvre hère errant dans les rues de Dakar demandant l’aumône à tout va alors que le soleil darde ses rayons. Aussi comprend-il que « Le mendiant de couleur n’a pas de couleur » car c’est avant tout un être humain dont les besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits. Le droit de vivre dignement ne lui est point reconnu. Quel constat d’inhumanité !
Il met également l’accent sur la permanence du système D, l’autre moyen ordinaire de survie. C’est la preuve que l’être humain a tant de ressources en lui qu’il ne se laisse pas facilement mourir. Même quand la maladie fait rage tous les moyens sont bons pour la conjurer, les grigris ne sont-ils pas là pour contrer tous les obstacles ?
Les vieux versent dans la résignation en attendant leur dernière heure car ils ont déjà leur vie de lutte derrière eux. Mais pourquoi ne pas avoir recours au « bois à mâcher » pour tromper la faim ?
C’est un poète-reporter qui observe tout avec minutie, sait lire dans les regards, traduit les souffrances, interprète les faits et gestes de ses frères humains de « Couleurs noir » :
Aussi s’indigne-t-il que le mendiant cul-de-jatte soit chassé comme une mouche puisque « s’en fout le président » emmuré dans sa tour d’ivoire loin de la misère de son peuple ».
Il est aussi le témoin oculaire de ces femmes, l’échine courbée, puisant l’eau, ou de ces rudes travailleuses des champs à l’ancienne, ces forces de travail inépuisables, et indispensables, ces chercheuses de sel, ces bêcheuses, ces porteuses d’eau, ces restauratrices de trottoir. Il semble même se demander comment aider ces êtres à raccommoder le tissu de leur vie par la misère troué.
Un clin d’œil est également fait à Haïti que le poète dénomme dans l’intitulé d’un poème qui lui est consacré « L’autre rive du continent noir », il évoque le quotidien des Haïtiens dans les moyens de locomotion incommodes sur des chaussées défoncées :

la ferraille antique cahote
Rebondit sur les nids de poule
Les têtes tapent la tôle tap ! tap !

Nous relevons dans ce recueil de très belles descriptions qui dégagent une vraie émotion, des images haut en couleurs, des détails significatifs et de très belles images.

Mario Urbanet, né à Saint-Germain-en-Laye en 1935, Mario Urbanet a grandi entre deux langues, celle du Frioul paternel et le français de sa mère. L’occupation allemande, les chantiers du bâtiment à quatorze ans, la guerre d’Algérie à vingt, et un fort engagement citoyen lui ont appris l’essentiel sur la vie. Les livres lui en ont dit les valeurs. Il tente de découvrir comment fonctionne ce monde étrange. Il appareille ses mots comme les pierres d’un mur où s’ouvre la fenêtre du vent, qui répète inlassablement : Pourquoi ?
Ses poèmes sont édités aux éditions Temps des Cerises, Le Serpolet, Henri, l’Amandier, La lune bleue, Couleurs et Plumes et dans diverses revues et anthologies collectives. Ses contes sont publiés par les maisons d’édition Albin Michel, Glénat, Milan, Père Castor et L’Harmattan.

Pour citer ce texte: Maggy de Coster (poète et journaliste), « Mario Urbanet, Couleurs Noir, Éditions Unicité, coll. Poètes francophones planétaires, juillet 2017, Format A5, 72 p., 13€ », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°11, mis en ligne le 3 juillet 2017. http://www.pandesmuses.fr/2017/07/couleurs-noir-mu.html

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